Jérôme Vitart : panificateur de Lux
Nichée au coeur du Pays basque, la manufacture de pains Lux Panem ouvre ses portes en 2017. L'objectif de son créateur Jérôme Vitart : formuler des recettes de pains "vivants" et gastronomiques, destinés à être servis dans de grands restaurants.
Le point de départ du vivant ? L’eau. Constituant majeur de notre organisme, ingrédient principal du pain. « Avant même la farine, le pain est composé entre soixante et soixante-dix pour cent d’eau en moyenne », détaille Jérôme Vitart. En partant de ce constat, le panificateur (non-diplômé, il préfère ce terme à celui de boulanger) installé à Saint-Pée-sur-Nivelle, dans les Pyrénées-Atlantiques, s’est penché avec attention sur la composition des eaux du réseau. « Chlore, ozone, sels d’aluminium, nitrates… », des molécules loin d’être bienfaitrices. En créant sa manufacture de pains Lux Panem en 2017, l’artisan a donc longuement expérimenté. Jusqu’à aboutir à une eau « proche de celle qui s’écoule en montagne, celle qui traverse les strates géologiques depuis les sommets pendant des milliers d’années. »
Ici, dans sa fabrique qu’il qualifie lui-même de « laboratoire », tout commence par la chambre à eau. « Nous partons de l’eau du réseau, que l’on hyperfiltre. Ensuite nous la re-minéralisons, la dynamisons et la végétalisons, avec des mousses, des algues… » Un cocktail parfaitement étudié, minutieusement testé, dont la composition finale est tenue secrète et qui répond à deux critères : cette eau doit être à la fois bonne pour la santé et bonne pour les pains (pour leur texture, la régulation de l’acidité, etc.).
La passion de Jérôme Vitart pour les qualités de l’eau ne date pas d’hier. Avant de fonder Lux Panem, il créait des glaces et des sorbets : « À cette époque, je ne m’intéressais à l’eau que pour sa puissance aromatique, dans un but purement gustatif. »Quid de son interaction avec les farines ? Cette curiosité naîtra quelque temps plus tard.
Formuler, créer, inventer
Jérôme Vitart revêt une nouvelle casquette. Il est alors consultant pour une boulangerie, qui sollicite son expertise sur le développement de nouveaux produits. Il propose de se pencher sur la question du “sans gluten”. « J’ai moi-même développé une intolérance donc cette thématique était importante, d’autant plus que les maladies cœliaques sont en augmentation. » Au-delà des populations clairement impactées par les effets du gluten, il englobe dans sa réflexion, plus généralement, une approche santé dont pourrait bénéficier le plus grand nombre. Sa proposition ne trouve pas l’écho escompté auprès de son client qui ne souhaite pas se lancer dans cette voie. Il décide de le faire lui-même, en expérimentant. « Mon sport favori est de formuler, créer. Il faut accepter de faire des erreurs, de recommencer. »
Autodidacte à l’état pur, il débute dans la confection de pain avec sa première création vendue, dans une boulangerie locale, à la farine de lupin et à l’huile d’argan. C’est un succès. Il vise alors l’étape suivante, et crée avec un associé Lux Panem. La manufacture est installée dans une zone artisanale, au cœur d’un bâtiment parfaitement anonyme. Nul ne pourrait penser qu’il accueille une fabrique de pains.
Sur un chariot trônant au centre, six farines seulement. De l’avoine sans gluten, du lin, du millet, du sarrasin, du teff et de la châtaigne. Uniquement des farines que Jérôme Vitart considère « d’origine », c’est-à-dire non modifiées par l’activité humaine. En d’autres termes : sans OGM. « La sélection des farines varie en fonction de la saisonnalité, poursuit-il. Nous accordons une importance toute particulière au terroir, à la paysannerie. C’est pourquoi nous aimerions nous approvisionner autant que possible en local, mais ça n’est pas possible pour l’instant en raison de notre cahier des charges très strict. » Par exemple, Lux Panem a tenté de se fournir auprès d’un moulin basque produisant de la farine de châtaigne, mais ce dernier broyait du blé dans les mêmes locaux. Incompatible avec des pains à destination, entre autres, de malades cœliaques. Les farines du moment proviennent donc d’Ardèche, de Normandie, de Bretagne, d’Indre-et-Loire…
Redonner au pain ses lettres de noblesse
Au catalogue de la manufacture, en moyenne trois à quatre types de pains différents. Exit la notion de “corbeille à pain”, où ce dernier fait office de figurant sollicité uniquement pour accompagner d’autres aliments stars de la table. « Nous avons voulu créer des pains qui reprennent leur juste place dans l’alimentation, des pains gastronomiques. Nous partons des farines et créons des recettes destinées à les mettre en valeur, en collaboration avec des chefs. » Plusieurs tables gastronomiques du Pays basque servent ceux de Lux Panem pour agrémenter leurs menus, à l’instar de la célèbre Auberge Basque, restaurant étoilé.
Le catalogue actuel comprend le « tout-terrain » So What, pain de mie à base de sarrasin, de millet et d’avoine ; le plus insolite Pop Casta (châtaigne, lin et millet), dont les notes aromatiques se marient à merveille avec les aliments iodés ; ou encore l’italien Foglia (millet, lin, teff, avoine et huile d’olive). Tous les équipements ont dû être adaptés pour travailler ces farines, considérées comme non panifiables.
Dernier ingrédient clé, le levain, lui aussi revisité pour assurer une acidité réduite et une meilleure digestion. Le nom de Lux Panem, “pain léger” en latin, illustre cette volonté de proposer des produits facilement et naturellement assimilables par l’organisme. Leur composition assure une conservation optimale pendant sept à dix jours. À l’image des recettes d’antan.